Vue, ouïe… et toute la tête !

Où se forme le goût du vin ? Dans le sol, dont la vigne tire ses nutriments ? Dans l'air, qui vient déposer sur la peau des baies les précieuses levures qui officieront lors de la fermentation du moût ? Dans le bois de la barrique qui verra le vin doucement mûrir à son contact ? Tous ces facteurs ont évidemment leur importance, mais le goût du vin se forme avant tout… dans le cerveau, à qui incombe la lourde tâche d'intégrer les nombreux stimuli en provenance de tous nos sens. Ainsi, au-delà du nez (odeurs en orthonasal puis arômes en rétronasal) et de la bouche (saveurs et sensations trigéminales), la dégustation est influencée par nos autres sens, tels que la vue et l'ouïe. Des verres colorés ? Une salle bruyante ? L'appréciation du vin s'en trouve perturbée… alors que ce dernier n'y est pour rien !

Ainsi, des chercheurs ont notamment pu montrer qu'un vin blanc coloré en rouge était bel et bien décrit comme un vin blanc quand il était dégusté dans un verre noir… mais comme un vin rouge quand il était dégusté dans un verre transparent, montrant ainsi que la vue préalable de la couleur perturbait la dégustation « objective » du vin ! D’autres études ont démontré qu’un chocolat chaud semblait plus sucré et aromatique dans une tasse couleur crème ou encore qu’un soda semblait plus désaltérant dans une cannette bleue…

 

                             Plat « Sound of the sea » du chef Heston Blumenthal                pixabay / photomix

 

Côté ouïe, il a été montré que notre capacité à discriminer les odeurs était diminuée en présence de bruit, ce phénomène dépendant cependant de la nature du son, puisque la diffusion de musique classique au même niveau sonore n'a pas d'effet. Plus subtilement, il semble que certains bruits altèrent de manière sélective la sensibilité à certaines saveurs, des sons aigus amplifiant par exemple la perception du sucré. De manière plus insolite, Charles Spence a reçu un prix IgNobel (le pendant « satirique » du vrai prix Nobel) pour ses travaux sur le croquant des chips renforcé par des écouteurs, montrant que la sensation de croquant venait plus des ouïes que des dents !

Mais ce n’est pas tout, car notre environnement tout entier (lumière, température, personnes autour de nous), notre humeur, notre état physiologique, nos attentes conditionnent notre appréciation des aliments. Sans parler des projections mentales que l’on se fait : il a ainsi été démontré qu’en faisant sentir du parmesan dans un récipient étiqueté « parmesan », on obtenait une approbation des gens se disant ravi à l’idée de manger ça, alors que le même récipient étiqueté « vomi » faisait réagir les mêmes personnes en affirmant que jamais elles ne pourraient avaler une chose dégageant une telle odeur…

Bref, le goût est définitivement dans la tête !

Fonction / Domaine

Chercheur au CNRS et au Muséum National d'Histoire Naturelle à Paris

Bio / Présentation

Spécialiste de l'alimentation, Christophe Lavelle enseigne la physico-bio-chimie culinaire au sein de nombreuses universités et écoles et donne régulièrement des conférences auprès du grand public et des professionnels (chefs, formateurs, ingénieurs). Il est également co-responsable du réseau PALIM (Patrimoines Alimentaires) de Sorbonne Université et formateur à l'INSPE pour les professeurs de cuisine. Il est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont Toute la chimie qu'il faut savoir pour devenir un chef ! (Flammarion, 2017), Je mange donc je suis. Petit dictionnaire curieux de l’alimentation (Editions du MNHN, 2019) et Molécules. La science dans l'assiette (Ateliers de l'Argol, 2021).

© MNHN - JC Domenech

Photo / Illustration
Christophe Lavelle