Repas gastronomique : l’art de manger en bonne compagnie

Le repas gastronomique, tel qu’il se pratique en France depuis des siècles, est évidemment l’occasion de bien manger et bien boire. Mais c’est aussi un temps de convivialité structurant la vie en société, pour partager à table bien plus que des nourritures terrestres.

Étrange alchimie que celle du repas gastronomique en France, par laquelle le plaisir de manger pour célébrer les grands moments de la vie ne se goûte parfaitement qu’en bonne compagnie. C’est ce qu’on appelle la commensalité : littéralement, la qualité de ceux – les commensaux – mangeant  habituellement à la même table. Et, par extension, cette conception chère aux Français selon laquelle un repas de fête, nécessairement, se partage avec d’autres convives.

Il faut dire que cette culture du compagnonnage gastronomique trouve ses origines loin dans notre passé. Peut-être chez les Gaulois, qui ne manquaient jamais une occasion pour s’assembler autour d’une table ? Tout était prétexte pour manger et boire ! Et cette prédisposition de nos ancêtres n’a fait que grandir sous l’influence des Romains, qui jugeaient de la réussite d’un repas à sa convivialité, notamment lors de la « cena », ce repas collectif dont la vocation était de permettre à l’hôte comme à ses invités de briller en société. Sans oublier les Francs, qui contribuèrent également à cette culture de la table, en mettant notamment la pièce de viande rôtie au centre du repas des élites.

Le déjeuner des canotiers

Le déjeuner des canotiers
d'Auguste Renoir (1880)
vu par Charlotte de Maupeou

Le déjeuner des canotiers
d'Auguste Renoir (1880)

La table et ses règles

De l’Antiquité à l’Ancien Régime, en passant par les banquets du Moyen-Âge et les raffinements de la Renaissance, cette culture du manger bien et bien accompagné n’a cessé de se perpétuer tout en évoluant. Elle fut d’abord l’apanage de la table des rois et des élites qui, longtemps, refléta l’ordre social établi. C’est au cours des repas que le seigneur distribuait à ses hôtes les plus proches non seulement les meilleurs mets, mais aussi les fonctions les plus honorifiques. Puis le repas gastronomique, en tant qu’occasion de se réunir pour se réjouir ensemble les sens et l’esprit, s’est progressivement étendu à la bourgeoisie et bientôt au reste de la société.

De nos jours, donc, plus d’étiquette à table en-dehors des grandes maisons et certaines institutions, mais des règles communes comme, par exemple, le nombre de repas (petit-déjeuner, déjeuner, dîner) qui rythme la journée des Français. Avec une place particulière accordée au dîner, un des derniers refuges de la sociabilité familiale.

Cette faculté du repas à rassembler naturellement autour de la table est manifeste lorsque ce dernier se fait gastronomique, en vue de célébrer les grands moments de la vie. Une raison de plus pour cultiver encore et toujours le plaisir partagé de se retrouver pour faire bonne chère, en toute bonne occasion.

 

La conversation à table

L’on dit souvent que les Français à table parlent principalement de nourriture et de cuisine. L’art de la conversation est une pratique ancienne. Pour le gastronome Grimod de la Reynière, en 1808, « une conversation animée, pendant le repas, n’est pas moins salutaire qu’agréable ; elle favorise et accélère la digestion, comme elle entretient la joie du cœur et la sérénité de l’âme », c’est dire son importance dans le repas gastronomique des Français. Mais l’amphitryon doit savoir gérer les propos de table et mener ses convives vers des sujets qui peuvent être traités sans risque ; la littérature, les sciences, les arts, les spectacles, la gastronomie, par exemple. A la fin du XIXe siècle, la baronne Staffe conforte les conseils de Grimod de la Reynière en expliquant dans ses Usages du monde. Règles du savoir-vivre dans la société moderne (1889), que la conversation doit être portée sur des sujets neutres, agréables et gais, et que la politique doit y être soigneusement éloignée. Aujourd’hui encore nous suivons généralement ces principes en société ou en famille, pour que la table soit toujours une fête et une joie.

L'art de recevoir

« Convier quelqu’un, c’est se charger de son bonheur pendant tout le temps qu’il est sous notre toit », écrit Brillat-Savarin dans les années 1820. Au XVIIe siècle, « faire bonne chère » signifie le bon accueil d’un visage aimable, de celui qui reçoit par un bon repas. Bien accueillir ses hôtes, c’est notamment les inviter à s’assoir autour d’une belle table, généralement nappée de blanc et couverte d’une vaisselle délicate. Car le repas gastronomique des Français, c’est aussi l’art de dresser la table. La création de manufactures de porcelaine, dont celle de Vincennes en 1740, transférée seize ans plus tard à Sèvres, contribue au développement des arts de la table et à sa magnificence. L’apparition des premières salles à manger dans les grandes demeures du XVIIe siècle, et leur affirmation au cours des siècles suivants, théâtralise également le moment du repas. Au XIXe siècle, l’industrie se met au service de la table en modernisant les procédés de fabrication des objets et des couverts, donnant la possibilité à tous d’avoir de l’orfèvrerie, de la verrerie et de la vaisselle chez soi, tout en créant de nouveaux ustensiles de table (pinces à salades, à asperges, etc.), pour une plus grande sophistication des manières de manger et de l’art de recevoir.

Textes écrits par Patrick Rambourg

Fonction / Domaine

Historien des pratiques culinaires et alimentaires

Bio / Présentation

Historien des pratiques culinaires et alimentaires, Patrick Rambourg est chercheur, enseignant et auteur. Il a participé au conseil d’experts pour l’inscription, par l’Unesco, du « repas gastronomique des Français » sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. Sociétaire de la Société des Gens de Lettres, il est également membre du réseau des chercheurs de l’Institut Européen d’Histoire et des Cultures de l’Alimentation.

Photo / Illustration
Patrick.R